Quelques extraits d'articles

Paru dans le journal de Jaffrennou " Ar Bobl " le 12 juin 1909

Une fête nationale bretonne

Quand on demande aux Bretons, comment il se fait, qu'à côté de la France, en décrépitude, ils soient restés un peuple jeune, vigoureux, passionnément fidèle à ses vieilles croyances, ils ne peuvent faire trente-six réponses, ni même deux. Il n'y en a qu'une, qui jaillit, claire comme la foudre, de l'Histoire de Bretagne à qui elle pourrait servir d'épigraphe :
..........................." Qui t'a rendu si bon ?
...........................- Ma Race et l'Evangile ! "

Si donc nous voulons tirer à part, pour le proposer à l'admiration de nos frères et des étrangers, un exemplaire du Breton intégral, il faut chercher, dans notre histoire, celui ou l'un de ceux qui ont été pétris le plus purement de ce double levain catholique et racial, un de ceux qui possèdent, au degré le plus haut, la splendeur du catholicisme absolu, c'est-à-dire le dévouement sans mesure à la Bretagne et à la Bretagne seule, le travail persévérant pour rendre ou conserver notre Patrie à ses traditions, à sa gloire, à son originalité.

Ceci posé, nous n'aurons que l'embarras du choix entre nos vieux saints qui tous furent les apôtres admirables de la bonne tâche nationale. Il reste simplement à déterminer lequel est, parmi eux le plus connu, celui qui a le plus de chance d'être fêté dans toute la Bretagne par tous les Bretons.

On a écarté un peu brusquement, à mon sens, la candidature de saint Yves qui a pour lui précisément cet énorme avantage d'être le plus connu de nos saints bretons. La première raison de cette mise à l'écart est celle de Le Berre et Choleau, au congrès de Pontchâteau.

........." MM. Le Berre et Choleau craignent que le choix d'un saint ne froisse les Bretons agnostiques..."

.........Sommes-nous en Breiz ou bien à Paris ? Je ne distingue plus. Qu'est-ce que c'est que ça, " un Breton agnostique ? " Vous en avez vu quelquefois ? Si vous en connaissez un vous me le montrez, n'est-ce pas, cet oiseau rare, et vous le priez de laisser, par testament, ses os à l'un de nos musées, afin d'enrichir nos collections de fossiles rarissimes !

........Parlons sérieusement. Je ne veux être ni doctoral, ni sectaire, mais après avoir relu l'Histoire de la Bretagne, il me paraît, en toute franchise, que Breton et Agnostique sont deux termes qui hurlent formidablement d'être accouplés. Un Breton agnostique, - faites-le aussi antimétèque que vous voudrez - ne sera jamais qu'un demi-Breton, et ne peut faire sur notre sol qu'oeuvre stérile parce que l'esprit breton traditionnel est fidèlement catholique, et catholique militant, parce que les deux forces dont notre nation est la résultante, sont la Race et l'Evangile.

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Une dernière raison, plus ... brutale. Si nous ne choisissons pas un saint, dans l'état actuel des esprits, le Clergé ne marchera pas. Si le Clergé ne marche pas, qui célèbrera la Fête Nationale dans la plupart de nos paroisses bretonnes ?

C'est encore un point à méditer, avant de prendre la décision définitive.

.....................................................BLEIMOR

 

Article où il répond à Charles Le Goffic auteur d'une Lettre de Mme de Sévigné ( sur les Bretons qui lui refusaient une statue à Vitré )

A propos de la statue

La controverse s'éternise. Voici que les défenseurs de Mme de Sévigné entrent en lice à leur tour, plume au poing. Laissons, dans leurs ténèbres, les inepties anonymes du soi-disant Vitréen, Le Patriote de Bretagne, feuille du Normand Garreau, imprimée à Laval. Toute cette radicaille n'apporte d'ailleurs aucune raison en réponse aux nôtres; elle se borne à nous lancer à la tête, en balançant des encensoirs d'occasion pris chez l'antiquaire, les noms de Tiercelin, Le Goffic et La Borderie. La palme est à Le Goffic, qui extrait de la correspondance de la Rabutin une lettre suprême, par laquelle, effroyablement longuement, elle se défend contre " Messieurs de l' U.R.B.", avant qui, elle avait inventé le Régionalisme ?

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Quand elle criait : " Je déteste la Bretagne et les Bretons !" cela signifiait candidement : "J'aime mieux une robe de chambre en taffetas qu'une robe de chambre couleur de feu, na ! " Quand elle traitait les penderies de "rafraîchissements", c'était pour marquer que les femmes éventrées et les enfants mis à la broche dérangeaient son aristocratique digestion. Eventrer les Bretons, fi ! Quelle horreur ! Mais si vous les pendez, à la bonne heure ! Ca du moins, c'est élégant.

La marquise est tout entière dans ce distinguo posthume. Le fond du traitement infligé à nos aïeux la trouve indifférente, c'est pour la forme seulement ( c'est le cas de dire !) qu'elle proteste. Que sa correspondance renferme de-ci de-là quelques unes de ces "bretonneries" chères à trop de littérateurs dits bretons, je veux bien. Mais Le Goffic oublie que ces bretonneries, nous les avons justement en exécration, nous autres nationalistes, et les gens qui font palpiter au vent des banderoles proclamant "Bretagne est poésie" feraient bien de se souvenir une fois le temps que Bretagne est autre chose aussi; que s'il y a des heures pour la littérature, il est des jours où il la faut planter là avec énergie, pour se souvenir uniquement que l'on est fils des Bonnets bleus.

Eventré, mis à la broche, pendus par les soldats de Chaulnes, raillés par Mme de Sévigné; qui de nous a songé à les glorifier nos aïeux morts pour les droits bretons ? et tant d'autres qui firent comme eux ! ... Pontkallek, Montlouis, du Couédic, Talhouet-le-Moine ont porté sur l'échafaud leurs têtes coupables d'avoir abrité des pensées de liberté provinciale; à la Bretagne ils ont donné le plus magnifique gage d'amour qu'on puisse offrir à une patrie : leur sang. Quelle voix s'est élévée pour demander qu'on les honore d'une statue ? Ni celle de Tiercelin, ni celle de Le Goffic. Hoche est coulé en bronze. Vicaire a son médaillon, la Sévigné aura sa statue, et, gentilshommes ou manants, nos ancêtres tués pour la cause bretonne verront de jour en jour plus d'herbe couvrir leurs tombes et plus d'oubli leur souvenir.

..........Laissez donc dormir la Sévigné, ô Le Goffic !

.....................Vistréh, miz kerzu, 1910.

 

..............................................BLEIMOR

Article paru dans Le Pays Breton, 20 juin 1911.

Contre le séparatisme

C'est un sujet brûlant, mais par ce temps de canicule, ça ne nous changera pas beaucoup d'entrer dedans. Si du reste mes élucubrations devenaient par trop... tropicales (vous ne trouvez pas qu'il y a un trop de trop, là ) vous auriez toujours la ressource de m'expédier votre carte avec cette injure: " Il y avait bien assez du préfet Lépine et du soleil de juin pour nous faire suer." Cà m'apprendra.

Soyons sérieux puisque le sujet l'est. Le sujet, c'est le séparatisme, dont je vais dire tout le mal que j'en pense. Mes raisons valent ce qu'elles valent, je ne prétends pas avoir découvert l' Amérique; on leur rendra pourtant cette justice, qu'elles sont uniquement, sincèrement, des raisons bretonnes.

Mettez en ligne toutes vos réserves de bonne volonté, nous allons faire des hypothèses énormes. Supposons la séparation accomplie entre Breiz et la France. Qu'arriverait-il ? Numérotons :

1° Dans l'état de désorganisation, d'émiettement, d'anarchie intellectuelle où s'enlise la Bretagne du XXè siècle, c'est premièrement un beau tapage qui surgit, un tumulte tout à fait celtique. Qui mettre à la tête du pays ? Comme disait Loeiz Herrieu, l'autre jour. Et d'abord, quelle sorte de gouvernement adopter ? Quelles institutions ? Quels hommes ? Voilà des questions sur lesquelles, tels que notre Histoire nous a photographiés, nous nous battrions d'une manière absolument sempiternelle, sans arriver à rien de bon. Les Nominoé, les Alan-Meur, autoritaires unificateurs des clans, ne courent pas les rues, et Léménik, je n'y crois pas. Remarquez bien que je dis la Bretagne actuelle. Une Bretagne organisée ne me paraît pas le moins du monde incapable à se donner un gouvernement bon et sage. Alors ? ... triomphera-t-on ? Alors organisons-la. Cela nous donnera de l'occupation jusqu'à notre mort, et même au-delà, eut ajouté Pic de la Mirandole. Ainsi :

............Nos arrière-neveux nous devront cet ombrage.

et pourront causer séparatisme sous l'orme, si cela leur fait plaisir. Mais je crois que s'ils pèsent tant soit peu nos autres raisons, ils n'en causeront pas longtemps.

2° Supposons une Bretagne séparée, organisée. La France, après tout, est notre belle-mère. Si vous vous figurez qu'elle va laisser sa bru courir le monde comme ça la bride sur le cou, vous n'y êtes pas. Par tous les moyens, ruse ou force , - c'est son intérêt et sa tradition - elle essaiera de nous ravoir. Vous me dites que nous lutterons. Je veux bien. J'accorde même que les aviateurs aidant, nous gratifiions les fils de Franks d'un nouveau Ballon. Et après ? Croyez-vous que ce ne sera pas à recommencer tous les dix , tous les vingt ans ? A moins qu'épuisés, nous ne cédions, il n'y a pas de raison pour que cela finisse. Cela ne finirait pas.

3° Supposons que pour un motif ou pour un autre, les Français se résignent au fait accompli. Surgiront alors les convoitises étrangères, allemandes, anglaises, convoitises armées autrement que nous, pauvres Bretons, dont elles parviendraient fatalement à avoir raison. Accepter une suzeraineté saxonne ? Merci. J'aime autant la française, et si c'est tout ce que vous aviez à nous proposer, "ce n'est pas la peine assurément de changer ... etc."

4° Mais la Belgique, mais la Suisse, mais ... Bretagne état neutre ? Non. " On ne neutralise pas des positions comme Brest " ( Maurras ), voire Lorient, des positions, des ressources d'hommes et de choses comme celles de la Bretagne. Aucun gouvernement n'interviendrait pour nous, qui n'avons pas de diplomatie et ne sommes les protégés de personne. Les peuples chevaliers sont morts, l'intérêt seul dirige la politique. Quel pays a intérêt à soutenir une Bretagne indépendante ? Dites-le nous. ..................... .....(suite à droite )

Anarchie, guerre civile peut-être; guerre étrangère; par suite ruine du commerce, de l'industrie, de l'agriculture nationales, telle est la caravane de bienfaits que le séparatisme traîne avec lui. Breton aussi entier que n'importe qui, je préfère à ces charmantes perspectives celle d'une tutelle française éternelle, acceptée, je ne dis pas avec amour et reconnaissance toujours, mais avec une loyauté fidèle et sans arrière-pensée, à l'abri bien entendu de l'autonomie administrative qu'il ne serait pas difficile à une Bretagne organisée de conquérir et de faire respecter. Au point de vue breton, le seul auquel je me sois jamais placé pour écrire ici, le séparatisme est donc plus qu'une chimère irréalisable, c'est un rêve indésirable, une nuée, pour parler le langage à la mode, c'est une erreur profonde et funeste qu'il faut combattre. Inlassablement nous la combattrons.

Cela d'ailleurs sans acrimonie aucune à l'égard de nos frères de Bretagne égarés dans le brouillard de ces sentiments-là. Nous en voulons à la doctrine (?), non aux personnes. D'autant plus que qu'on a soi-m^me failli faire comme eux. Au temps de la Libre Parole vieux style, Drumont publia un article intitulé " Lettres de Bretagne". Il n'en citait d'ailleurs qu'une, de ces lettres, et elle ne venait pas " de Bretagne " puisqu'elle était datée de Reims. Mais elle venait d'un Breton, chez qui l'exil - cet effet fut souvent remarqué - avait exaspéré le sentiment nationaliste.

"... tous les Bretons intelligents, y était-il dit, sont aujourd'hui régionalistes convaincus. Dans cinq ou six ans, si ce régime de pourriture latine et de charogne juive n'est pas encore crevé, nous serons tous décidémént séparatistes ... "

Trois ans se sont écoulés. Combien avons-nous de séparatistes en Bretagne ? Peu, sûrement. Ce qu'il y a de plus fort, c'est que le singulier individu qui détachait, vers le maître antisémiste, cette vaticination enflammée est aujourd'hui, parce qu'il s'est fait les réflexions qu'on vient de lire, "décidément antiséparatiste ".

Comme sentiment, il est possible que le séparatisme s'explique (sans s'excuser), surtout chez les Bretons catholiques en qui agit, en plus d'indignations purement patriotiques très motivées, l'écoeurement de subir le contact journalier d'une nation païenne, la tyrannie d'une nation persécutrice des croyances ancestrales si chères. Mais comme opinion, non, il ne peut tenir debout. Parce que l'Intérêt national est ici que le pauvre peuple ne soit pas écrasé en des luttes sans issue, pour acquérir ou conserver une indépendance inutile à son bien-être comme à sa gloire.

Le ton de ce trop long article aura sans doute étonner quelques uns. J'ai voulu faire la partie belle aux séparatistes, afin de leur montrer que, même en leur concédant un large bout de terrain (qu'ils auraient infiniment de peine à gagner), il reste que leur rêve, où ils paraissent voir l'expression d'un amour de Breiz plus intégral, plus parfait, procède en réalité d'un patriotisme imprévoyant, irréfléchi et par là incomplet, d'une raison faussée par le sentiment.

 

Qu'ils sachent en tout cas que l'on peut être nationaliste-breton, sans réclamer pour ce pays-ci une souveraineté politique aléatoire et funeste; qu'il y a, outre les simples régionalistes, des nationalistes qui sont et resteront toujours, sans cesser pour cela d'être fraternels, ennemis jurés de leur séparatisme.



............................................BLEIMOR

 

 

Copyright (c) Catherine Le Goff - juillet 2000 -
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